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61 LE SONGE


d'après "Le Songe d'Athalie" de Racine


LE SONGE D'ATHALIE de RACINE prêtez-moi l'un et l'autre une oreille attentive. Je ne veux point ici rappeler le passé. ni vous rendre raison du sang que j'ai versé. Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire. je ne prends point pour juge un peuple téméraire. Quoi que son insolence ait oser publier. le ciel même a pris soin de me justifier. Sur d'éclatants succès ma puissance établie A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie. par moi jérusalem goûte un calme profond. Le jourdain ne voit plus l'arabe vagabond. Ni l'altier philistin, par d'éternels ravages, comme au temps de vos rois désoler ses rivages. Le syrien me traite et de reine et de soeur. Enfin de ma maison le perfide oppresseur, Qi devait jusqu'à moi pousser sa barbarie, Jéhu, le fier jéhu tremble dans samarie. De toute part pressé par un puissant voisin Que j'ai su soulever contre cet assassin; Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse; je jouissait en paix du fruit de ma sagesse. Mais un trouble importun vient depuis plusieurs jours. de mes prospérités interrompre le cours. Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe?) Entretien dans mon coeur un un chagrin qui le ronge; je l'évite partout, partout il me poursuit. c'était pendant l'horreur d'une profonde nuit. Ma mère jézabel devant moi s'est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée. Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté. Même elle avait encore cet éclat emprunté, Dont elle eu soin de peindre et d'orner son visage, Pour réparer des ans l'irréparable outrage. Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi. Le cruel Dieu des juifs l'emporte aussi sur toi. Je te plains de tomber dans ses mains redoutables. Ma fille. En achevant ces mots épouvantables, Son ombre vers mon lit a paru se baisser. Et moi je lui tendait mes mains pour l'embrasser. Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange. D'os et de chair meurtries, et traînées dans la fange. Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux. Que des chiens dévorants se disputaient entre eux...
Oui je viens devant vous, oui, moi : Lamerre Daniel, Célébrer The Départ, en une geste officielle. Prêtez-moi s'il vous plaît une oreille attentive. Une oreille amicale, plus qu'administrative. "Je ne veux point ici rappeler le passé". Ni vous rendre raison de vos oeuvres passées. Monsieur, ce que vous fîtes, vous crûtes bon de le faire. Je ne prends point pour juges des collègues téméraires, Ni ma propre insolence qui fut tant décriée. Moi-même j'ai pris soin de me justifier. Sur d'éclatants succès la puissance établie A fait jusqu'à Kastler fructifier votre audit. Par vous Jean-Jacques Rousseau goûte un calme profond. Le couloir n'entend plus le thiantais vagabond, Ni le prouvysien, pousser des cris sauvages, Comme au temps de jadis, ternissant notre image. Le maingeois ne crie plus "Hé vas donc, et ta soeur !" Enfin dans cette maison qui vit les petits beurs Venir-re jusqu'ici pousser leurs hourvaris, J'ai vu, je dis, j'ai vu, trembler ces chers petits, De toutes parts pressés par un puissant adjoint, Que vous sûtes lever contre ces bons à rien. Vous le mîtes en ces lieux, pour leur botter les fesses. Nous jouissions en paix du fruit de vos largesses, "Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours", De nos prospérités interrompre le cours. "Un songe, (me devrais-je inquiéter d'un songe ?) Entretient dans mon coeur un chagrin qui le ronge, Je l'évite partout, partout il me poursuit". Et même il faut le dire, il me cause du souci, A moi, Lamerre Daniel, et j'ose le montrer. J'entrevoyais la retraite, je me sentais paré, Mes malheurs n'avaient pas rabattu mon caquet. Je m'étais, à grands frais, prothèse fait poser, Et depuis, c'est flagrant, elle me fait bon usage, pour réparer des ans l'irréparable outrage. Mais j'arrête, il est temps, de vous parler de moi. Le brouillard se dissipe, on en reste pantois. Nous risquons de tomber dans des mains redoutables, Il paraît, d'après Maud, qu'il est épouvantable. Et son ombre sur nous commence à s'abaisser. Mais que faudra-t-il faire ? faudra-t-il l'embrasser ? Faudra-t-il faire la bête ?, ou faudra-t-il faire l'ange ? Faudra-t-il à ses pieds se rouler dans la fange ? Attendre encore deux mois, cela est trop affreux. Mais je reviens à vous, à vous mon pauvre vieux Qui allez nous quitter, c'était inévitable. Et nous goûtons ensemble, ce moment délectable, Où vous n'êtes plus là, mais pas encore parti. Vous n'êtes plus Princi, mais pas encore Provi. Mais arrêtons ces vers, ils sont trop lamentables. Ne prenons pas Racine, rapprochons de la table, Et pour la dernière fois, sous votre autorité, Nous allons, il le faut, pour vous, encore trinquer.

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